Martin Eden – Jack London

Résumé : Martin Eden, un marin de vingt ans issu des quartiers pauvres d’Oakland, décide de se cultiver pour faire la conquête d’une jeune bourgeoise. Il se met à écrire, et devient un auteur à succès. Mais l’embourgeoisement ne lui réussit pas… Désabusé, il part pour les îles du Pacifique. Ce magnifique roman paru en 1909, le plus riche et le plus personnel de l’auteur, raconte la découverte d’une vocation, entre exaltation et mélancolie. Car la réussite de l’œuvre met en péril l’identité de l’écrivain. Comment survivre à la gloire, et l’unir à l’amour, sans se perdre soi-même ? Telle est la quête de Martin Eden, le marin qui désire éperdument la littérature.

Note personnelle : ★ ★ ★ ★ ★

Avis : Que ce soit le résumé ou la préface de l’édition Folio Classique, je ne suis complètement d’accord avec ce qu’ils en disent et je vais tâcher de vous expliquer pourquoi dans cet article.

Effectivement, Martin Eden est un jeune homme issu d’un milieu pauvre, qui va rencontrer une jeune femme d’une famille aisée et vouloir se cultiver, puis devenir un auteur à succès pour se sentir digne de l’épouser. Cependant, quand ils disent dans le résumé « Mais l’embourgeoisement ne lui réussit pas… Désabusé, il part pour les îles du Pacifique. », ils laissent sous-entendre qu’on va lire l’histoire de la fuite de la bourgeoisie, ce qui n’est pas le cas. Le roman parle de son envie et de ses sacrifices pour devenir quelqu’un d’important dans le monde de la littérature, pas de sa vie sur une île du Pacifique. Bref, je ne suis pas contente de leur résumé !

Dans la préface, ils expliquent également que Martin va tomber amoureux de Ruth, la jeune fille de bonne famille, puis d’une ouvrière. Et là, non. J’ai attendu pendant tout le roman que l’amour salvateur de cette ouvrière arrive et me débarrasse de Ruth, que je n’appréciais pas… J’imagine qu’il parle de Lizzie Connolly, qui est bien de la même classe que Martin, et dont il va s’occuper à la fin du roman. À aucun moment il n’éprouve de sentiments amoureux pour Lizzie, il la respecte, il respecte l’amour qu’elle a pour lui, il s’en occupe et s’en préoccupe mais il ne l’aime pas. Il l’aurait peut-être aimée s’il n’avait pas rencontré Ruth.

En parlant de ce personnage, que je détestais tant au tout début du roman, laissons Jack London nous la décrire…

C’était une créature pâle, séraphique ; elle avait de grands yeux d’un bleu céleste et une opulente chevelure d’or. Il eût été incapable de dire comment elle était vêtue. Il savait seulement que sa robe était aussi merveilleuse qu’elle. Il la compara à une pâle fleur d’or sur une tige frêle. Non, c’était plutôt un être spirituel, une divinité, une déesse ; une beauté aussi sublime n’était pas de ce monde.

Martin Eden (1909) – de Jack London

Comment voulez-vous que je puisse apprécier Ruth en lisant cette description ? La fille très banale que je suis ne pouvait qu’exécrer cette créature divine. J’ai donc, dans un premier temps, détesté Ruth, ses manières, sa beauté, l’admiration et l’amour que Martin lui vouait. Probablement, je l’admets, par jalousie. Ruth est tout ce que je ne serais jamais. Forcément, sans pouvoir s’identifier aux personnages, un faussé est creusé entre le lecteur et son livre, ce qui me paraissait inconcevable. Je me suis donc identifiée à Martin Eden, malgré tout j’ai lu en ayant moins de sympathie pour lui, car je le trouvais finalement superficiel. Je l’ai même trouvé antipathique quand il rabaissait ses anciennes conquêtes et les autres filles moins bien nées que Ruth, celles qui s’abîment les mains et le dos au travail pour gagner quelques pièces.

Quant à Ruth… De mon point de vue, c’est une jeune femme élevée loin de la dure réalité du monde, qui tombe face à un homme qui va l’intriguer et la troubler. Si j’ai bien compris, Jack London laisse sous-entendre que cette femme est encore vierge. Et l’intérêt premier qu’elle a pour Martin Eden est très primaire, si on en croit la citation ci-dessous.

Il lui faisait peur et, en même temps il était étrangement plaisant d’être regardée ainsi. Son éducation l’avertissait de l’imminence d’un danger, de la séduction subtile et mystérieuse du péché, tandis que dans son être tout entier son instinct lui claironnait de ne pas s’arrêter aux barrières de classe et de position, et d’aller au-devant de ce voyageur venu d’un autre monde, ce jeune homme frustre aux mains lacérées, au cou marqué à vif d’une ligne rouge causée par le frottement d’un col de chemise inhabituel, et qui, cela n’était que trop évident, était sali et souillé par une vie dégradante. Elle était saine, et sa pureté se révoltait ; mais elle était femme, et elle commençait tout juste à apprendre le paradoxe de la femme.

Martin Eden (1909) – de Jack London

J’imagine donc qu’elle a une attirance qui est en majeure partie sexuelle. Elle va ensuite tenter de le modeler à son image, ou plutôt à l’image de son homme idéal. Elle en devient encore plus détestable à mes yeux. Martin est un jouet entre ses mains, le pire, c’est qu’il semble accepter la situation et même s’en réjouir.

Il redevint aussitôt de l’argile entre ses mains ; il était aussi éperdument désireux d’être modelé par elle qu’elle l’était de le façonner à l’image de son idéal masculin.

Martin Eden (1909) – de Jack London

Mais plus l’histoire avant, plus Martin ajoute des cordes à son arc, plus Ruth s’efface. Elle qui était un être divin à ses yeux, commence à pâlir. Dans la première partie du roman, il souhaite être à la hauteur pour elle, être aussi cultivé, intelligent, il veut intégrer son monde. Ruth l’aide à sa manière et à l’impression d’effectivement réussir à le faire se plier à ses exigences. Martin va réussir à se sentir à la hauteur intellectuellement, voire même se sentir plus intelligent encore. Et cette sensation va faire s’écrouler ce monde qui lui semblait idyllique. Il ne cesse pas d’aimer Ruth pour autant.

Jamais elle n’aurait deviné qu’à ces moments-là, cet homme venu d’un milieu inférieur la dépassait par la grandeur et la profondeur de ses conceptions. Comme tous les esprits limités qui ne savent reconnaître de limites que chez les autres, elle jugea que ses propres conceptions de la vie étaient vraiment très vastes, que les divergences de vues qui les séparaient l’un de l’autre marquaient les limites de l’horizon de Martin et rêva de l’aider à voir comme elle, d’agrandir son esprit à la mesure du sien.

Martin Eden (1909) – de Jack London

Puis dans une second partie, alors qu’il a conquit le cœur de jeune fille, c’est désormais l’accord de ses parents pour l’épouser qu’il va devoir obtenir. À ce moment-là, il y a un tournant de l’histoire. Martin va maintenant se donner corps et âme à sa carrière d’écrivain. Son but initial étant de gagner suffisamment d’argent (c’est une notion qui revient très fréquemment, du début à la fin du roman, l’argent reste présent) pour offrir une vie confortable à Ruth. Son combat, c’est pour elle, comme va très joliment l’écrire Jack London.

En dépit des trésors de beauté qu’il avait en lui et de son désir éperdu de créer, c’était pour elle qu’il se battait. Il était un amoureux d’abord et avant tout ; il subordonnait tout le reste à l’amour.

Martin Eden (1909) – de Jack London

De mon point de vue, à l’instar de Walter White dans Breaking Bad, s’il est vrai que sa première motivation est sa famille, ou ici l’amour de Ruth, plus il va maitriser son sujet, plus il va vouloir le faire pour lui-même. Il aurait très bien pu prendre un emploi comme lui demandait sans arrêt sa bien-aimée et travailler ses textes dans ses moments de liberté, pourtant, il s’obstine à ne vouloir faire qu’écrire, quitte à se mettre dans une situation compliquée. Par ailleurs, Ruth ne comprend absolument pas la beauté de sa littérature. Elle n’aime pas ce qu’il écrit et ne le soutien pas. Il continue pourtant à écrire jour et nuit, et se confronter aux éditeurs, essuyer des refus encore et encore. Jusqu’au moment où la jeune femme décide de se séparer de lui. C’est la dégringolade pour Martin. Perdre Ruth est l’élément déclencheur de cette descente aux enfers, quoi qu’encore l’enfer lui aurait procuré plus d’émotions et de sensations que ce qu’il va vivre par la suite et jusqu’à la fin du roman. Il va tout de même la recroiser quand il aura enfin du succès…

Pourquoi n’avez-vous pas eu cette audace plus tôt ? demanda-t-il d’une voix dure. Quand j’étais sans travail ? Quand je mourais de faim ? Quand j’étais ce que je suis aujourd’hui, le même Martin Eden, le même homme, le même artiste ? Telle est la question que je ne cesse de me poser jour après jour – non seulement à votre sujet mais à propos de tout le monde.
[…]
Je crains que vous ne m’ayez pas comprit, dit-il avec douceur. Je veux dire ceci : si vous m’aimez, comment se fait-il que vous m’aimiez tellement plus qu’à l’époque où votre amour était suffisamment médiocre pour me renier ?
[…]
Ils demeurèrent silencieux pendant un long moment ; elle réfléchissait, au comble du désespoir ; lui songeait à son amour défunt. Il comprenait à présent qu’il ne l’avait jamais vraiment aimée. Il avait aimé une Ruth idéalisée, un être séraphique qu’il avait créé de toutes pièces, la muse lumineuse de ses poèmes d’amour. La vraie Ruth, la bourgeoise, avec tous les travers de sa classe, les petitesses désespérantes de l’esprit bourgeois, celle-là, il ne l’avait jamais aimée.

Martin Eden (1909) – de Jack London

Je comprends ce que Martin veut dire par là, mais je pense aussi qu’il se trompe. L’amour est souvent comparé à un feu et j’ai acquis la certitude que c’est bien le cas, il se rapproche plus d’une forme de vie que d’un objet figé. Il naît, il grandit, et selon la façon dont on le cultive il évolue de différentes manières, parfois ou plutôt souvent, il meurt doucement. Pour moi, l’un comme l’autre se sont aimés. Ruth, a été élevée dans un climat privilégié et connu que ça. Ce devait être compliqué pour elle, qui vivait dans une bulle créée par ses parents, de se sortir de ces habitudes trop bien ancrée, d’accepter d’aimer quelqu’un issu de la classe ouvrière, et de se rebeller contre sa famille quitte à perdre ses privilèges. Je ne dis pas que c’est impossible, elle aurait pu le faire, et aurait même dû le faire. Mais finalement, c’est une jeune femme plutôt fragilisée d’avoir vécu dans ce monde aseptisé, j’ai presque de la peine pour elle, parce que je pense que ses sentiments sont vrais même si elle se laisse guider par sa famille. Quant à Martin, idéalisée ou non, il a aimé Ruth. Elle lui a ouvert une porte sur le monde, même si cette porte ressemblait plutôt à celle d’une bibliothèque. Elle lui a donné l’envie de se surpasser et un but ultime. Qu’est-ce que c’est, sinon de l’amour, quand épouser la personne devient un but ? Oui bon, en laissant de côté les gens qui ne sont là que pour l’appât du gain… Ce n’est pas le cas de Martin, il n’en avait pas après sa fortune, peut-être un peu son mode de vie (donc indirectement son argent haha) mais dire qu’il ne l’a jamais aimée, c’est, à mon avis complètement faux. S’il l’a aimée en l’idéalisant, elle n’en était pas moins elle-même à ce moment. Elle a toujours la Ruth bourgeoise et pourtant il l’aimait. Et voilà pour Ruth et Martin !

Parlons maintenant de Martin et Brissenden. C’est un homme qu’il a rencontré chez Ruth, cultivé et intelligent, qui est du même monde que sa bien-aimée. Il va se prendre d’affection pour lui, notamment parce qu’il va se rendre compte qu’à la différence des autres personnes qui font partie de la bourgeoisie, lui n’est pas simplement cultivé, il ne se contente pas de répéter bêtement les leçons apprises par ses professeurs. De plus, il va reconnaître le génie de Martin, lire et apprécier ses textes avant tout le monde. Par ailleurs, ils vont se rendre compte qu’ils sont d’accord sur le monde de l’édition dont ils disent « Voilà où réside l’épouvantable paradoxe : les portes d’entrée de la littérature sont gardées par des cerbères qui sont les ratés de la littérature. Les rédacteurs en chef, leurs adjoints et associés, pour la plupart, les lecteurs de manuscrits qui travaillent pour les revues et les maisons d’édition, pour la plupart ou presque tous, sont des gens qui ont voulu écrire et qui n’ont pas réussi. » Brissenden est convaincu que Martin ne peut pas réussir dans ce monde, mais à la différence de Ruth qui ne le trouve pas bon, lui, le pense trop brillant.

Je sais ce que vous écrivez. Je le devine les yeux fermés. Il y a un ingrédient qui vous ferme la porte des magazines : la tripe. Les magazines ne savent que faire de cet organe. Ce qu’ils veulent, c’est du pipi de chat, et ils en sont bien arrosés, mais pas par vous.

Martin Eden (1909) – de Jack London

Il y a également tout une partie politique en rapport avec Brissenden. Je pense que je suis passée à côté d’une partie importante de l’histoire, parce que la politique ne m’intéresse absolument pas et que je ne la comprends pas plus dans le roman que dans le monde actuel. Pourtant la notion de « socialisme » est souvent utilisée, son ami lui dit « Vous voyez, j’aimerais vous voir devenir socialiste avant de disparaître. Cela donnera une justification à votre existence. C’est la seule chose qui vous sauvera de la désillusion qui vous guette » et c’est même à cause d’un journalisme qui a complètement inversé le discours politique de Martin qu’il finit par perdre Ruth (plus d’une fois dans les dîners en famille, le père de Ruth lui parle de politique et ils sont en désaccord, sa mère se servira même de ce sujet pour les pousser à se quereller à nouveau et éloigner sa précieuse fille de Martin). Je vois l’importance de cette partie, sans pour autant réussir à bien la comprendre. Cela dit, ce n’est pas tout ce que fait Brissenden. Non content d’être la première personne à apprécier ses œuvres et à lui offrir de quoi survivre, il le prévient également, que Ruth ne sera pas une femme idéale pour lui. Il lui conseille de choisir une femme de la classe ouvrière (Hello Lizzie !), et il a parfaitement raison dans ce roman.

J’ajoute qu’il est inutile d’essayer de m’étouffer, je dirai ce que j’ai à dire. Si je comprends bien, vous en êtes encore aux amours juvéniles ; mais, au nom de la Beauté, choisissez mieux la prochaine fois ! Bon dieu ! qu’avez-vous à faire d’une fille de la bourgeoisie ? Laissez-les donc tranquilles. Trouvez-vous une belle et ardente dévergondée, qui se moque de la vie, raille la mort et aime à satiété. De telles femmes existent, et elle vous aimeront autant que n’importe laquelle des plantes pusillanimes sorties des serres chaudes de la bourgeoisie.
– Pusillanimes ? protesta Martin.
– Absolument, pusillanimes. Qui dégoisent la petite morale dont on les a gavées et ont peur de vivre leur vie. Celles-ci vous aimeront, Martin, mais elles aimeront bien davantage leur petite morale. Ce qu’il vous faut, c’est l’abandon magnifique à la vie, la liberté des grandes âmes, les papillons aux couleurs flamboyantes et non les petites phalènes grises.

Martin Eden (1909) – de Jack London

Pour terminer avec cette amitié… Après que Ruth ait quitté Martin, Brissenden décède. Je pense que c’est surtout la perte de son ami qui lui fait totalement perdre pied. Il n’est pas la seule personne à avoir été présent pour Martin, il y a Maria chez qui il logeait et qui plu d’une fois à privé ses enfants de nourriture pour en donner à l’homme qui lui louait une chambre, elle l’a veillé et soigné quand il est tombé malade, bref, Maria était un soutien. Il y a aussi Gertrude sa sœur, dans une moindre mesure, qui l’invitait aussi à manger quand son mari était absent, et lui donnait de l’argent, même si elle lui demandait de trouver un emploi. Cependant, Brissenden est le seul à lui avoir apporté un soutien dans le domaine de la littérature, qui rappelons-le est devenu au fil du temps, sa vraie raison de vivre. Et donc, j’en conclu que finalement, c’est la plus grosse claque que lui met la vie. Après ça, il a finalement du succès, de l’argent et se met à haïr la terre entière.

Je vous dirais que la lune est un fromage vert, que vous applaudiriez, ou du moins que vous n’oseriez pas me contredire, parce que je suis riche. Et je suis le même qu’alors, quand vous me rouliez dans la boue, sous vos pieds.

Martin Eden (1909) – de Jack London

Globalement, vous savez déjà tout sur Martin. Il rencontre Ruth, sous le charme il fait tout ce qu’il peut pour pouvoir s’intégrer dans son monde, puis se rend compte que ce monde n’est que de la poudre aux yeux mais reste amoureux de Ruth et du coup, il se lance dans une carrière littéraire en espérant devenir un écrivain connu pour pouvoir offrir une vie confortable à sa petite amoureuse et obtenir le consentement de ses parents pour l’épouser. Il rencontre en parallèle Brissenden qui va le conforter dans l’idée que le monde de l’édition et la bourgeoise sont deux choses ignobles dont il devrait se tenir loin. Il perd l’amour de Ruth, puis son ami décède. Bien sûr entre temps, Jack London nous raconte comment se fait cette ascension sociale, les efforts, les sacrifices, la faim, la fatigue… Jusqu’à ce qu’enfin il triomphe ! Mais la victoire a un goût amer et tout peut se résumer dans la phrase certainement la plus citée de ce roman « Ce n’est pas dans le succès d’une œuvre qu’on trouve sa joie, mais dans le fait de l’écrire. ».

Il se souvint des jours où il mourrait de faim, où personne ne l’invitait à dîner. C’était à ce moment-là qu’il avait besoin de repas, qu’il s’affaiblissait, manquait s’évanouir parce qu’il n’avait pas à manger, maigrissait parce qu’il criait famine. Étrange paradoxe. Quand il avait faim, personne ne le nourrissait, et maintenant qu’il pouvait s’offrir cent mille repas et perdait peu à peu l’appétit, on l’invitait de toutes parts. Où était la justice là-dedans, où était son mérite ? Il n’était pas différent d’alors. Il avait déjà fait tout son travail à l’époque.

Martin Eden (1909) – de Jack London

En se concentrant sur le personnage de Martin et en retraçant l’histoire, je vois un homme qui tombe amoureux évidemment, fait des efforts pour être aimé en retour et qui commence à rejeter ses origines, à détester la classe ouvrière, qui ne s’y sent plus à sa place lorsque ses connaissances le font se sentir supérieur à ces gens-là. Mais la tragédie c’est qu’il ne se sent pas plus à sa place parmi ceux qu’il admirait avant de se cultiver. Par-dessus le marché, il perd la femme qu’il aime, son but, sa raison de se battre et de vivre. Puis, pire encore, il perd son ami, la seule personne qui croyait en lui. C’est peut-être la véritable histoire d’amour de ce roman, sous la forme d’une amitié entre deux hommes. Ce sont deux personnes qui se voient, s’acceptent et s’admirent telles qu’elles sont. Il devrait être consolé par sa réussite littéraire, mais au contraire, il en veut aux gens de l’admirer une fois qu’il a eu du succès, alors qu’il estime être le même. Imaginez son état d’esprit à ce moment… Il n’a plus d’objectif, il ne sent plus à sa place nul part, il n’a plus l’amour (et je pense qu’il a très peur d’aimer à nouveau et s’en empêche), il n’a même plus la vraie amitié. Tout ce qu’il lui reste c’est de l’argent. Il est devenu apathique, il dort sans arrêt. Bref, il montre des signes évident de dépression. Et c’est là que je vais le admirer le personnage. Il va tenir toutes ses promesses. Rendre son argent au centuple à sa sœur, acheter une ferme laitière à Maria, une blanchisserie à Joe… Inconsciemment il règle toutes ses affaires avant d’embarquer sur un bateau, duquel il va se jeter.

Il montre la détermination à mourir que celle qu’il a eue pour vivre. Il combat l’instinct de survie. Et il triomphe à nouveau. C’est ça dernière victoire. Je vous laisse écouter ce passage lu par @clement.livres sur Instagram, que vous pouvez retrouver aussi sur Youtube.

Lecture de la scène de fin de Martin Eden (1909) de Jack London – Par @clement.livres

Pour finir, ce qui fait la beauté de ce roman, c’est l’évolution. Celle des personnages, de leurs sentiments, de leurs liens et relations. L’histoire en devient très réelle, très forte et très touchante. Ce n’est plus le bien contre le mal, il n’y a pas que des gentils et des méchants, le monde et les personnages ne sont pas figés. C’est une œuvre « humaine », je ne saurais pas dire si c’est le mot qui lui convient, mais c’est le mot que je souhaite lui attribuer.

Un petit mot pour Lizzie Connolly qui aime démesurément et inconditionnellement Martin Eden, mais ne va obtenir que son respect en retour de ses sentiments. Je ne comprends pas pourquoi il n’est pas en mesure de l’aimer, ni pourquoi il décide de la laisser sur le quai lorsqu’il embarque. Peut-être qu’elle aurait su rallumer la flamme avec toute la chaleur de son amour et ses couleurs flamboyantes de papillon. Par ailleurs, elle fait comme Martin finalement, elle accepte de prendre des cours pour devenir meilleure et pouvoir être aimée de cet homme qu’elle admire. Je suis triste pour ce personnage, je voulais vraiment parler d’elle avant de vous laisser !

Anecdote : Merci pour cette découverte mon futur auteur de best-seller. 🐺💖

Bonne lecture ! Signé C. 🐻

Interview – Sélène Derose

Le 8 mars 2020, pour célébrer la Journée Internationale des droits de la Femme, je vous invite à découvrir Sélène Derose, auteure en autoédition au travers de 12 questions. 🙋‍♀️

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Sélène Derose – Auteure

Fondamentalement, on est auteur à partir du moment où on écrit, comme on est créateur à partir du moment où l’on crée.
Tu es l’auteure de deux romans, deux recueils de nouvelle et d’autres textes dans des recueils collectifs. En général, avant d’écrire, on commence par lire… Quels sont les livres qui ont marqués ton enfance ?

Eh bien, je dois avouer qu’enfant, à part les livres imposés à l’école, je lisais peu. Les seuls ouvrages qui me plaisaient jusqu’à les collectionner étaient les Mickey et Super Picsou. De la BD, en somme. J’appréciais l’association dessin-écriture qui à l’époque, nourrissait  davantage mon jeune imaginaire que du texte seul, et au niveau des histoires, le côté aventure des ces ouvrages me plaisait énormément.

Maintenant que nous avons parlé du passé, parlons du présent. Quels sont tes coups de cœur littéraires ?

Je dois évidemment citer l’indétrônable « L’alchimiste » de Paulo Coelho, le livre qui a amorcé le changement de ma perception vis-à-vis de la vie et du monde. Ensuite, j’ai replongé il n’y a pas si longtemps dans des classiques que j’ai adoré découvrir comme « L’étranger » d’Albert Camus et « 1984 » de George Orwell. Côté autoédition, j’ai beaucoup aimé « Personaé » d’Elijaah Lebaron que j’ai trouvé très riche.

Quand et comment as-tu commencé à écrire ?

Depuis jeune, il me semble, même si je ne m’en étais pas rendue compte. Je le faisais de façon épisodique à travers mon journal intime. Puis j’écrivais quelques poèmes par ci par là, un bout de texte à droite à gauche, sans qu’il n’y ait vraiment de profonde implication. Ce n’est qu’arrivée à l’âge adulte que j’ai recommencé à flirter avec les livres à la bibliothèque et l’envie d’écrire m’est venue plus franchement. Aujourd’hui, je poursuis dans cette voie en cherchant avant tout à m’y épanouir pour transmettre le meilleur de ma plume à mes lecteurs et lectrices.

Quand as-tu pris la décision d’auto-éditer tes romans ? Est-ce que tu as été soutenue dans ce projet ?

L’autoédition a été mon premier choix dès lors que j’ai pris la décision de publier mes écrits. Bien entendu, cette voie a suscité des doutes et incompréhensions dans mon entourage, la voie traditionnelle de l’édition étant très ancrée dans les esprits, mais j’ai heureusement pu compter sur leur soutien, ce qui est toujours appréciable lorsqu’on s’attaque à un tel projet (gérer tout un processus éditorial seul).

À quel moment peut-on se revendiquer auteur d’après toi ?

Fondamentalement, on est auteur à partir du moment où on écrit, comme on est créateur à partir du moment où l’on crée. Cependant, je me suis sentie légitime en tant qu’auteure à partir du moment où j’ai jugé mes écrits dignes d’être partagés, et surtout après qu’ils aient été lus et commentés par des lecteurs extérieurs.

Quel mot préfères-tu utiliser pour parler des femmes qui écrivent ? Romancière, auteure, autrice… ?

C’est un gros débat sur lequel je n’ai toujours pas pris position, du moins pas vraiment bien que j’utilise « auteure » en ce qui me concerne. L’un où l’autre peu importe, du moment qu’elles écrivent et se sentent bien dans leur démarche, c’est le plus important selon moi !

Est-ce qu’être une femme a été un handicap ? Est-ce qu’il y a des mots, des phrases, voire des passages par exemple que tu n’osais pas écrire par peur qu’ils engendrent un jugement négatif ?

En tant qu’auteure, je ne me bride pas. Mais disons qu’en tant que femme, j’ai tendance à vouloir préserver la dignité de mes personnages féminins et ne pas leur faire subir, même par le biais de la fiction, des situations que je n’aime pas savoir arriver dans la réalité.

Quels avis sont les plus compliqués à recevoir/demander ? Ceux du grand public ou ceux de tes proches ?

Définitivement ceux de mes proches ! Au moins, avec le grand public, je suis certaine que les avis sont objectifs.

Est-ce que Niya, le personnage de ton roman « Alter-Ego », est la femme parfaite à tes yeux ? Ou est-elle plutôt une petite sœur, une amie ? Ou tout à la fois ?

Parfaite ? Non. Elle a des forces et des faiblesses comme tout le monde, et tant mieux sinon elle n’aurait aucune marge d’évolution. Toutefois, j’ai essayé de lui transmettre un bon fond, des valeurs et un caractère qui font d’elle une personne que j’aurais aimé avoir pour amie, oui.

Est-ce que tu as des remords à plonger tes personnages dans de mauvaises situations ? Un peu à l’image d’une mère qui serait inquiète pour ses enfants.

Totalement ! C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, je trouve mes histoires douces, même pour les parties difficiles ou frissonnantes lorsqu’il s’agit d’épouvante. Mais cela risque de changer qui sait ? Après tout, c’est de la fiction !

Tu as déjà reçu des remarques surprenantes ou marquantes de la part de tes lecteurs ?

Ce qui me surprend le plus en réalité, c’est la différence de perception d’une même histoire entre les lecteurs. Fascinant ! Du coup je ne me lasse pas de recevoir de nouveau avis.

Est-ce que tu travailles actuellement sur une nouvelle œuvre ?

Côté écriture, il se passe encore des choses, heureusement ! Je travaille effectivement sur un nouveau projet qui s’inspirera de l’une de mes nouvelles issue des Récits Sélénites. Un indice : peur.


C’est sur une excellente nouvelle que s’achève cet article ! Je remercie Sélène d’avoir accepté de répondre à mes questions et d’être un modèle pour toutes les femmes qui souhaitent publier leurs écrits. 🥂💐

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Voici les liens de réseaux sociaux où la retrouver :
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Vous pouvez également vous procurer ses œuvres ici.

Bonne journée Internationale des Droits de la Femme, Signé C.

Exercice d’écriture – Thème Noël

Je vous propose un atelier écriture. Bien que je sois principalement une lectrice, j’aime également écrire et souhaite vous faire partager cette seconde passion. 🖋️

L’exercice est simple. Il suffit prendre six mots (vous pouvez utiliser un générateur de mots sur internet comme celui-ci ou demander à quelqu’un de vous les donner) et les inclure dans une histoire autour du thème de Noël. 🎅

Thème : Noël
Nombre de caractères : Minimum 10000 – Maximum 20000 (15481 au total)
Mes mots imposés sont : vieux – animal – genou – robe – graisse – moustache (tous les mots sont inclus)

Il était six heures du matin, un vingt-quatre décembre, lorsque l’alarme se déclencha. Un grognement s’éleva de sous la couverture. Une main en sortit et donna un coup sec sur le réveil. Celui-ci, non content d’avoir réveillé le dormeur, eu l’audace de tomber au sol, d’où il continua d’émettre des sons stridents. Après un second grognement, Bruno se leva et éteignit l’objet infernal. C’est d’une humeur massacrante qu’il entreprit de se préparer une tasse de café. Le vacarme de la cafetière ressemblait à un doux ronronnement à ses oreilles après l’insupportable sonnerie du réveil. La tasse fumante à la main, il traîna des pieds jusqu’à la salle de bain. Bruno inspecta son visage dans le miroir. La lumière crue creusait ses traits déjà tirés par une mauvaise nuit. Il haussa les épaules en soupirant. Son père lui disait souvent que l’insomnie était la triste compagne des gens seuls, savait-il seulement à quel point il avait raison, se demanda-t-il en se glissant sous la douche.

Le parking était vide excepté quelques voitures garées dans la zone réservée aux employés du centre commercial, à l’arrière du bâtiment, à côté des conteneurs pleins à craquer ce matin-là. Bruno poussa la porte qui s’ouvrit en grinçant. Il se dirigea vers les vestiaires. Un homme grand et maigre était en train d’enfiler une veste aux couleurs de l’entreprise. Bruno le salua d’un signe de main.
– C’est vous le Père Noël ? demanda-t-il en boutonnant sa veste.
– Pour une semaine oui.
Il tourna le dos à l’employé pour lui signifier qu’il ne souhaitait pas poursuivre cette conversation trop matinale à son goût. Mais le jeune homme était d’humeur jouasse et ignorant le message implicite s’approcha de lui.
– J’étais en repos ces derniers jours, expliqua-t-il tout en s’asseyant sur le banc, j’avais peur que vous ayez terminé votre mission avant que j’aie eu le temps de prendre une photo avec vous.
Bruno haussa un sourcil et dévisagea le jeune homme.
– Tu n’es pas un peu vieux pour faire une photo avec le Père Noël ?
– Bien sûr que non ! répondit-il. Mais je le suis sûrement pour m’asseoir sur vos genoux, ajouta le jeune homme avant de s’esclaffer.
Il hésita quelques secondes puis se tourna à nouveau vers l’homme qui bouclait la ceinture de son déguisement.
– Sérieusement m’sieur, on peut faire une photo avant l’ouverture ?
Comprenant que le jeune homme ne lâcherait l’affaire pas avant d’obtenir gain de cause, Bruno accepta. Ils se rendirent ensemble au stand, allumèrent automates et lumières, puis prirent la précieuse photographie.
– Merci m’sieur, elle est pour ma mère. Je n’avais pas de vrai cadeau pour ce soir, faut dire qu’ils ne payent pas très bien ici… se justifia-t-il en se grattant l’arrière de la tête d’un air penaud. Je lui ai pris une boite de chocolat aussi ! Vous croyez qu’elle sera contente ?
Il se dandinait d’un pied sur l’autre, devant le fauteuil d’où Bruno le regardait déconcerté. Il prit soudainement son rôle à cœur.
– Il n’y a pas de doute, elle va adorer tes cadeaux, lui répondit-il de sa voix la plus rassurante puis souriant il ajouta, joyeux réveillon jeune homme !
– Merci, joyeux réveillon aussi m’sieur ! s’exclama l’employé visiblement soulagé, qui s’éloignait déjà en agitant joyeusement sa photographie.

Bruno trouvait le fauteuil particulièrement inconfortable. Voilà sept années qu’il jouait le rôle du Père Noël dans les centres commerciaux et c’était la première fois que cet emploi lui paraissait aussi difficile. Outre ce manque de confort, les courants d’air glacés et les insupportables chants de Noël lui donnaient la migraine. Il eut à peine le temps de trouver une position acceptable qu’une petite fille en robe rouge grimpa sur ses genoux. Il lui sourit et lui demanda si elle avait bien été sage. L’enfant se tordit les doigts, lança un regard à sa mère, qui lui fit un oui de la tête. Ses petites joues se colorèrent de rose, elle répondit timidement qu’elle avait en effet été sage.
– Qu’as-tu commandé ma grande ? demanda Bruno,
Rougissant de plus belle, elle prit une grande inspiration et répondit avec une solennité qui contrastait avec son jeune âge.
– Je voudrais avoir un chien, mais maman dit qu’on ne peut pas avoir un animal, alors j’aimerais bien avoir un chien en peluche et aussi je voudrais bien avoir…
– Doucement doucement, Bruno tapota sur son épaule pour la calmer, tu as dit un chien en peluche, c’est ça ?
– Oui Père Noël, je voudrais aussi…
Bien qu’il appréciait les enfants et ne souhaitait en aucun cas les décevoir, la politique de l’agence était stricte, il devait atteindre un certain nombre de photographies dans la journée pour ne pas voir son salaire amputé, par conséquent il décida d’écourter l’énumération de la liste.
– Un chien en peluche, c’est noté ! Maintenant regarde le lutin et sourit.

Le flash jaillit de l’appareil. La mère, enchantée, vint reprendre sa fille. Bruno inspecta d’un rapide coup d’œil les alentours et constata avec soulagement que plus personne n’attendait devant son stand. Vérifiant l’heure sur sa montre, il décida de s’octroyer une pause méritée. Il posa un écriteau sur le siège et sortit à l’arrière du magasin où quelques employés frissonnants étaient en train de boire du café dans des gobelets en plastique. Il s’adossa contre un mur, près des poubelles, tira sur sa fausse barbe jusqu’à la placer sous son menton et glissa une cigarette entre ses lèvres. Il regarda le groupe s’en aller. Un peu de silence ne me fera pas de mal, songea-t-il, en se massant les tempes. Le destin en avait décidé autrement. De petits pas rapides se firent entendre dans la cour. La fillette à la robe rouge se pressait vers lui. Il tressauta et essaya maladroitement de replacer sa fausse barbe.
– C’est bon, dit-elle, je sais que tu n’es pas le vrai Père Noël.
Bruno jeta sa cigarette et l’écrasa sous sa botte.
– Tu as raison, je ne suis pas le vrai, mais c’est un secret, tu dois le garder, c’est d’accord ? lui demanda l’homme déguisé en se baissant pour être à sa hauteur.
La petite accepta d’un signe de tête et lui tendit une enveloppe.
– C’est pour que tu la donnes au vrai Père Noël, ajouta-t-elle en rougissant ce qui semblait être l’une de ses habitudes.
Il prit l’enveloppe et la mit dans la poche de sa veste. L’instant d’après la porte s’ouvrit avec fracas et une femme paniquée fit irruption dans la cour.
– Rose ! Tu es là ! Tu m’as fait peur ! s’exclama-t-elle, entre colère et soulagement.
Elle courut jusqu’à la petite et la tira par le bras, en direction de la porte, sans même jeter un regard à l’homme habillé en Père Noël, qui se relevait avec difficulté.
– Je donnais une lettre au monsieur pour qu’il la passe au Père Noël, s’excusa l’enfant.
– Ne t’éloigne jamais de moi dans les magasins, c’est dangereux Rose.
Bruno fit un clin d’œil à la petite fille qui lui répondit par un sourire complice en suivant sa mère. Il allait également rentrer lorsqu’un faible bruit se fit entendre. Il s’immobilisa et écouta. Ce qui ressemblait à un miaulement s’éleva d’un endroit qu’il estimait être situé près des poubelles. Intrigué, il fit demi-tour. J’espère que dans ce centre commercial de malheur les rats ne savent pas miauler, ronchonna-t-il en inspectant le contenu de la benne la plus proche. Un troisième miaulement s’éleva plus loin, s’approchant du dernier conteneur il vit le chat sortir de sous l’énorme boite et venir à sa rencontre. Maculé de saleté que la tempête de neige avait moins réussit à laver qu’à mouiller, la pauvre bête, qu’il devinait avoir été d’un roux flamboyant, tremblait de froid. Il approcha la main doucement. Sans la moindre hésitation, le chat y frotta sa tête.
– Tu es dans un bien sale état toi, lui dit Bruno en le prenant dans ses bras.
Pour toute réponse, le chat se mit à ronronner.
– Je vais t’amener au chaud, susurra-t-il au félin en entrant dans le bâtiment.

Le chat dormait paisiblement, roulé en boule dans le traîneau décoratif du stand, malgré le vacarme ambiant. Bruno l’avait enveloppé dans son pull qu’il était retourné chercher dans les vestiaires. Il avait songé à y laisser son nouvel ami mais à peine eut-il fermé la porte que des miaulements inquiets avaient retenti. Il avait finalement cédé au chantage du chat et l’avait emmené avec lui. Les heures défilaient et les enfants se succédaient sur les genoux du Père Noël, parfois souriants, parfois larmoyants. Certains tentaient même d’arracher la fausse barbe qu’il portait, ce qui dans d’autres circonstances ne l’aurait pas dérangé, car il supportait difficilement le contact avec les poils synthétiques. La moustache était plus incommodante encore, elle lui chatouillait le nez le faisant régulièrement éternuer. En professionnel de l’animation, comme il aimait le dire, il restait souriant et gardait du mieux possible son ton enjoué de Père Noël.

Les clients se firent de plus en plus rares au stand. L’heure avançait et tous souhaitaient rentrer chez eux pour commencer les préparatifs du réveillon. Un homme s’approcha de lui à grandes enjambées.
– Comment se passe la journée ? Beaucoup de photos ? demanda l’homme dont l’impolitesse énerva instantanément Bruno.
– Bonjour Monsieur le directeur, répondit-il les mâchoires serrées en tendant la main.
Devant l’immobilité de l’homme en costume, il finit par abdiquer et laissa retomber sa main.
– Oui il y a eu beaucoup de visite sur le stand aujourd’hui.
Le félin roux qui n’avait jusqu’ici pas bougé d’un poil, se mit à miauler doucement.
– Qu’est-ce que c’est que ça ? s’agaça le directeur en regardant par-dessus l’épaule du Père Noël qui tentait tant bien que mal de dissimuler l’intrus. Vous n’avez tout de même pas osé ramener une saloperie de chat sur le stand ! Mais, regardez-moi ça, il est tout pouilleux !
L’homme s’avança vers le traîneau, le chat feula le faisant immédiatement reculer. Revenu à une distance suffisante pour se sentir en relative sécurité il s’adressa à Bruno.
– Il est dangereux cet animal ! Il pue en plus, c’est une infection ! Vous êtes complètement inconscient ma parole ! Ramener une bête sauvage ici, on aura tout vu, s’égosilla-t-il. Et vous avez pensé aux allergies ? Et s’il avait des maladies ? S’il avait blessé un gosse ?! L’agence va m’entendre, je vous le garantis !
Agitant rageusement son index devant le nez de Bruno, il finit par sortir son téléphone portable et composa un numéro. Le Père Noël lança un regard consterné au chat, en lui chuchotant qu’il avait choisi le mauvais moment pour se manifester. Le directeur quant à lui, faisait les cents pas, l’oreille collée à son mobile.
– Oui, un chat, vous avez bien entendu ! Comment ça vous ne pouvez pas rembourser ? Vous vous rendez compte ? Un chat sale, sauvage et agressif, dans nos locaux.
Le visage du directeur avait viré au cramoisi, une veine palpitait sur sa tempe. Il s’époumonait dans le microphone de l’appareil. Bruno eut pitié de la personne à l’autre bout du fil. Certainement Alice, songea-t-il, la réceptionniste. Une jeune fille souriante et gentille, qui ne méritait aucunement qu’on s’acharne sur elle de la sorte.
– Monsieur le directeur, l’appela Bruno en lui tapant doucement sur l’épaule, Monsieur le directeur, insista-t-il. Je vais amener ce chat dans les vestiaires, rassurez-vous.
– Ne croyez pas que vous allez vous en sortir si facilement, vociféra-t-il avant de raccrocher. Bien entendu que vous allez le virer d’ici ! Et immédiatement !
Il tourna les talons et partit en rouspétant, il prit tout de même le temps de proférer une dernière menace.
– Si l’agence refuse de me dédommager, le manque à gagner sera prélevé sur votre salaire. Vous aussi, ne croyez pas vous en sortir si facilement.
Bruno récupéra le chat tout ébouriffé dans le traîneau.
– Bravo, grâce à toi, aucun de nous deux n’aura de crevette pour le réveillon, lui dit-il en lui caressant la tête.
Le chat se blottit contre l’homme et se laissa porter jusqu’aux vestiaires où il fut délicatement déposé sur un banc.
– Je reviens dans… Bruno regarda sa montre avant de continuer, une petite demi-heure. Reste sage, je passerais t’acheter des croquettes avant qu’on fiche le camp d’ici.
Il referma la porte en priant pour que le temps passe vite. L’idée de laisser l’animal seul lui tordait l’estomac. Heureusement, quand il revint, le félin patientait toujours au même endroit.

Bruno déposa le chat sur le siège passager et démarra la voiture.
– Il va falloir te trouver un nom maintenant. Qu’est-ce que tu dis de Santa ? questionna-t-il en lui lançant un regard. Non, ça ne te va pas. Peut-être que Claus te convient mieux.
À son grand étonnement le chat répondit par un miaulement.
– Bien, c’est officiel, tu t’appelles Claus. Grâce à notre rencontre aucun de nous deux ne passera le réveillon seul.
Bruno se mit à siffloter gaiement, malgré la circulation ralentie par la neige qui tombait encore en abondance. Rien ne pourrait entacher sa bonne humeur désormais.
– Finalement, j’ai acheté des crevettes. Tu as de la chance mon petit Claus ! Elles étaient en promotion, puis je te trouve maigrichon. Il te faut un peu de graisse si tu veux passer l’hiver mon petit.
Le chat était attentif aux paroles de son nouveau maître. Il le regardait conduire, poussant régulièrement des miaulements pour lui montrer sa reconnaissance. Bruno se gara dans une rue non loin de son appartement. Il sortit le chat de la voiture en s’assurant qu’il soit bien emmailloté dans le pull qu’il lui avait cédé. Il marchait doucement en veillant à ne pas glisser sur les plaques de verglas. En passant près d’un réverbère, il remarqua une affiche signalant la disparition, depuis plusieurs jours, d’un chat roux nommé Drufus. Pris d’un doute Bruno étudia à tour de rôle le chat qu’il tenait dans ses bras et celui de l’affiche. C’est à contrecœur qu’il arracha le numéro de téléphone de la propriétaire et le glissa dans la poche de son manteau.

De retour dans son appartement, Bruno déposa le chat et lui servit un bol de croquettes. Il rangea ses maigres courses et se résigna à sortir son téléphone. Il regarda l’animal qui mangeait goulûment puis pianota le numéro noté sur le morceau de papier froissé. Il écouta les sonneries, espérant honteusement que personne ne décroche.
– Allô ! Allô ! C’est qui à l’appareil ? questionna la voix d’une dame âgée.
– Bonsoir Madame, je crois que j’ai retrouvé votre chat Drufus, déclara-t-il en observant le petit chat qui se léchait les babines rassasié.
– Mais allons bon, que racontez-vous ?
– J’ai dit que j’ai retrouvé votre chat madame, il est…
– Il est sur le fauteuil, mon Drufus. Peu importe quel chat vous avez trouvé ce n’est certainement pas le mien, ajouta-t-elle avec fermeté.
– Je vois, je suis navré de vous avoir dérangée.
– Mais non, ce n’est rien. Bon réveillon monsieur.
Il raccrocha avec soulagement. Claus, vient se frotter à ses jambes. Il prit le chat dans ses bras et le caressa avec tendresse.
– Puisque tu es bien Claus et pas Drufus, je propose que l’on commence à fêter le réveillon ! Tu devrais faire ta toilette pendant que je nous prépare des crevettes. Le directeur avait raison sur un point, tu ne sens pas très bon, plaisanta-t-il en se levant pour cuisiner.
Le chat sauta sur le canapé et entreprit le nettoyage de son pelage. C’est d’ailleurs ensemble sur ce même canapé, à manger des crevettes décortiquées que les deux nouveaux amis passèrent leur réveillon de Noël et les suivants.

Bonne lecture.
©SignéC